Contribution sur la façon d’organiser la campagne pour la libération de Maksim Butkevich, par Bernard Randé.

J’interviens à propos d’une question qui s’est posée : savoir s’il convenait, lors de la lutte pour la sauvegarde de Maksym, d’indiquer ou non que nous combattions pour la défense de tous les prisonniers ukrainiens faits par la Russie. Je voudrais faire quelques remarques à ce sujet.

Nous battant pour Maksym précisément, nous donnons paradoxalement de la valeur à ce combattant particulier. Paradoxalement parce qu’il est détenu par la Russie que l’on enrichit ainsi d’un otage monnayable. Il faut observer cependant qu’à partir de ce moment, la vie de Maksym est moins exposée, justement en raison de sa valeur. D’autre part, un échange est davantage concevable. Il y a d’autres aspects dans cette bataille sur un nom.

Étudiant, j’ai passé une année à me battre (avec beaucoup d’autres !) en faveur de Leonid Pliouchtch. C’était dans la première moitié des années 70. Il se trouve que Pliouchtch a été libéré. Je sais au prix de quelle bataille, mais pas au prix de quelles tractations finales. Cette libération a été pour tous les militants impliqués une joie extrême, liée au sentiment que tout n’était pas impossible.

Pliouchtch était mathématicien, et la bataille a bénéficié d’une mobilisation exceptionnelle de toute la communauté mathématique ; l’analogue serait que Maksym, militant des droits de l’homme, soit soutenu de la même façon par les militants des droits de l’homme de tous les pays.

Dans le cas de Pliouchtch, c’est donc cette personnalisation qui a permis un combat efficace. Bien entendu, les circonstances étaient différentes ; il était possible de faire pression sur le PCF et, indirectement, sur le PCUS. Qu’en est-il aujourd’hui ? il serait exagéré de dire que la NUPES, par exemple, est pro-Poutine. Son programme est sans ambiguïté sur la question. Cependant, le silence de la NUPES est assez éloquent. Dire que l’on est opposé au viol, pourquoi pas, mais que cela signifie-t-il si l’on ne fait rien pour en empêcher un qu’on a sous les yeux ?

Une discussion en France en direction des militants de la NUPES et d’autres, si elle est efficace, est une forme de pression sur la politique poutinienne qui trouve dans ce silence une aide réelle.

Cette aide à la politique de Poutine est, sauf exception (Madame Royal par exemple), une aide en creux. La contribution de S. Halimi et de P. Rimbert [dans le Monde Diplo] est de ce point de vue éloquente. Un long article où est vilipendée la propagande des media occidentaux. Mais dans ce long article, il n’est jamais question du premier des protagonistes : la nation ukrainienne. Tout se passe comme si ce à quoi nous assistions était un combat entre un ennemi anonyme et des media occidentaux assistés d’un président ukrainien télévisuel. C’est assez désespérant de vacuité.

J’ajoute cependant que le retrait du rapport d’Amnesty me pose problème. Si j’étais paranoïaque, je dirais qu’il l’a été parce qu’il était insuffisamment documenté et que son retrait laissait supposer davantage qu’il en disait. Je ne l’ai malheureusement pas trouvé. Un tel rapport, en temps de guerre, pose quelques problèmes facilement évitables. Par exemple, on peut dire qu’un certain nombre d’écoles (vides, espérons-le) ont été utilisées comme point de repli par l’armée ukrainienne, et dire qu’un certain nombre de cas sont bien documentés, mais que ces informations précises ne seront fournies qu’à un moment où elles n’auront pas d’incidence militaire. Etc. Cela n’est pas une accusation (en temps de guerre, on fait ce que l’on peut), mais un élément factuel.

Je passe, pour revenir à la défense de Maksym, à tout autre chose. Le comité Audin a agi pour la reconnaissance par l’état français de sa responsabilité dans l’assassinat de Maurice Audin (il n’est pas indifférent que Laurent Schwartz ait été à la fois dans le comité Audin et dans le comité Pliouchtch ; Audin était mathématicien). Cest en 2018, je crois, que cette reconnaissance a été acquise, grâce aussi à la poursuite de l’action par l’Association Josette et Maurice Audin. Eh bien, à présent, une autre association, Mille Autres, essaie de faire le même travail pour les militants, algériens ou «européens», assassinés dans les mêmes conditions. Cela a été rendu possible parce qu’un seul cas avait été emporté victorieusement.

Bien entendu, là encore, les conditions sont différentes (et on espère que soixante ans ne seront pas nécessaires…) Mais agir sur un seul cas peut aussi être un gage d’efficacité dans le combat global.

En dernier lieu, je réitère cette proposition : aider, de la même façon que Maksym, la journaliste Marina Ovsiannikova, en mobilisant les journalistes, et au premier chef le SNJ, pour créer un comité portant son nom et qui prendrait sa défense. Cela permettrait de se battre sur les deux fronts. Pensons aux Russes qui exposent leur vie en ce moment en Russie.