Ukraine : « Gérer et contrôler les hôpitaux est possible »

Author

Patrick Le Tréhondat

Date
August 25, 2023

Selon un rapport du 10 août 2023 du Centre de santé ukrainien, depuis le début de l'invasion russe à grande échelle, plus de 1 000 attaques contre des infrastructures de santé ont été enregistrées. Le système de santé ukrainien - personnel médical, établissements médicaux et autres infrastructures de santé - a subi environ deux attaques par jour depuis le début de l'invasion à grande échelle de la Russie le 24 février 2022. À la suite de ces attaques, 148 travailleurs médicaux ont été tués et, à la suite de 414 attaques, des hôpitaux et des centres de soins ambulatoires ont été endommagés ou détruits. Oksana Slobodiana, membre du syndicat indépendant Sois comme Nina[1] nous explique que « la situation est extrêmement tragique. Notre personnel soignant est souvent contraint de négliger sa propre sécurité pour sauver la vie des patient·es. Aujourd'hui, nous accordons une attention particulière à ceux et celles qui sont resté·es dans la zone de combat. Notre organisation leur apporte une aide financière (dans le cadre d'un projet avec Medico International), ainsi qu'un soutien psychologique et juridique. Le personnel soignant qui a décidé de quitter les villes de première ligne pour des villes plus sûres n’est pas non plus laissé sans aide. Jusqu'à présent, nous sommes en mesure de leur fournir un logement, de la nourriture, des produits d'hygiène et des médicaments jusqu'à la fin de l'année. Ici, ils et elles s'adaptent et trouvent un emploi». À cette situation dramatique, s’ajoute une gestion désordonnée du système hospitalier ukrainien, fruit notamment d’une réforme d’avant le 24 février 2023 qui a confié aux collectivités locales la gestion des centres de santé. La corruption est endémique dans le système hospitalier ukrainien.

Par exemple le matin du 10 août, des perquisitions ont eu lieu à l'hôpital de Zhytomyr. Le porte-parole de la police nationale justifié ainsi cette opération de police : « Aujourd'hui, la police nationale enquête sur l'hôpital de Jytomyr, ainsi que sur des personnes susceptibles d'être impliquées dans des activités illégales. Des actions d'enquête sont menées dans le cadre d'une procédure pénale pour fraude avec les fonds alloués pour financer la fourniture des services médicaux.» Selon les enquêteurs, les responsables de l'hôpital ont organisé un stratagème pour obtenir illégalement des fonds budgétaires du Service national de santé d'Ukraine. « Tous les hôpitaux doivent être contrôlés !! » a déclaré une infirmière sur le réseau social du syndicat Sois comme Nina. Une autre enquête est en cours à l'hôpital d'Ivano-Frankivsk sur une fraude de 4,5 millions d'UAH. Dans cette période où le système de santé est vital, depuis de nombreux mois les infirmières ne perçoivent plus leur salaire ou dans le meilleur des cas une partie. Leurs conditions de travail se dégradent et lorsqu’elles protestent elles sont en butte à des brimades. Dans le précédent numéro de Soutien à l’Ukraine résistante, nous avions rapporté sur la manifestation, le 15 juillet, des infirmières de quatre hôpitaux à Kryvyi Rih qui réclamaient le paiement de leur dû. Le 27 juillet, Sois comme Nina organisait un rassemblement devant le ministère de la Santé à Kyiv pour porter les doléances des personnels de santé. Sous une pluie battante, les syndicalistes ont dû patienter sur le trottoir, en dépit des menaces de la police qui leur a rappelé que tout attroupement sur la voie publique était interdit sous la loi martiale. Une représentante du ministère daignant ensuite descendre les voir et repartir après un échange tendu. En fin d’après-midi, le ministère an, cependant, annoncé accepter de recevoir une délégation du syndicat en septembre. Pour Oksana ce « rassemblement sous les fenêtres du ministère de la Santé n'était pas formellement un rassemblement, car pendant la loi martiale, ils sont interdits. Nous sommes simplement venus pour nous rappeler les problèmes existants dans le secteur de la santé. Malgré le fait que la guerre dure dans le pays depuis deux ans et que les fonds alloués au secteur de la santé sont très faibles, les soignants doivent recevoir un salaire décent et à temps. Pouvez-vous imaginer ce qui se passerait dans le pays s’ils et elles commençaient à quitter massivement le pays ? Les autorités ne devraient pas permettre cela. Nous travaillons désormais activement à l’unification de tous les soignants d’Ukraine. Nous les aidons à créer des syndicats indépendants sur le terrain, nous parlons de leurs droits. Ensemble, nous préparons des appels écrits aux représentants des autorités, dans lesquels nous les informons de nos problèmes et proposons des options pour les résoudre. Nous prenons également rendez-vous avec des responsables, avec qui nous souhaitons discuter en face-à-face de tout ce qui ne nous convient pas. Je voudrais souligner que nous avons créé une convergence du personnel médical d'Ukraine, qui comprend les syndicats les plus actifs de diverses régions. Ensemble, nous frapperons aux portes des bureaux du gouvernement pour empêcher la destruction des soins de santé et des emplois du personnel médical en Ukraine. » Pour répondre à cette crise, selon Oksana « le moyen le plus efficace est de créer des syndicats indépendants qui peuvent et pourront comprendre clairement la situation et contrôler tout de l'intérieur. En effet, qui connaît mieux la situation de son hôpital, ses capacités, son administration que les employés eux-mêmes. Ainsi, gérer et  contrôler les hôpitaux est possible si nous commençons par élire le directeur par le personnel lui-même. En outre, les membres de la direction doivent être responsables même après leur licenciement, de sorte que le syndicat sera en mesure de contrôler tous les processus [judiciaires]. Enfin, la chose la plus importante est une comptabilité transparente, qui montre clairement combien d'argent a été reçu et à quoi il a été dépensé ».

Notes

[1] Voir Soutien à l’Ukraine résistante, n° 18 « « Nous créons des syndicats indépendants dans les hôpitaux », n° 20, « La douleur des infirmières ukrainiennes en temps de guerre, un rapport du syndicat Sois comme Nina », www.syllepse.net, rubrique en téléchargement gratuit.